samedi 13 décembre 2014

Les magiciens du samedi




1981

Nous avions, je crois, déjà quitté la ville d’A pour le village de F.

Quitté la petite maison, nichée au bout de l’allée. Quittée aussi la cour pavée de briques rouges, théâtre de mes jeux de garçonnet. Quitté le jardin partagé en deux par une allée que pas un brin d’herbe ne venait « salir ». La fierté du père. Les rangs de légumes bien alignés, la terre noire travaillée avec soin, si fine qu’elle s’écoulait comme du sable entre les doigts un peu écartés. Quittés aussi ces voisins charmants, deux petits vieux ; j’ai oublié leurs prénoms ; je me souviens seulement qu’ils étaient « pépé » et « mémé ». Un coup d’œil aux lapins dans les garennes, presque sentir à l’évocation de ces souvenirs pâlis l’odeur de la paille stockée dans l’appentis.

La porte de la cuisine était toujours ouverte, zoom sur la vieille boîte en fer emplie de Lutti posée bien en évidence sur le buffet en formica blanc. L’impatience de mes doigts encore malhabiles à dépapilloter le bonbon. Retrouver soudain la saveur sucrée du caramel qui fond lentement dans la bouche. Echanger sans doute quelques mots de rien.

Curieusement, si je peux encore voir chaque détail de la maison de nos voisins, j’ai perdu l’image de leurs visages en chemin, il ne me reste que la douceur des minutes heureuses passées là.

Que ce soit dans la maison d’A. ou dans celle du village de F. il y a un détail qui me revient souvent à l’esprit.

La radio de ma mère posée dans un coin de la cuisine.

Elle avait, elle a toujours l’habitude d’avoir une radio allumée. Une présence discrète qui l’accompagne dans les menus travaux qui peuplent ses journées maintenant qu’ils ne sont plus qu’eux deux, nos vieux.

Longtemps ça a été une vieille radio, sans doute achetée aux débuts de leur mariage.

C’était un de ces vieux machins avec une aiguille blanche qui voyageait sur le grand « écran ». Il y avait tout un tas de noms de villes inscrits en lettres blanches sur le fond rouge. J’aimai à faire des voyages d’une ville à l’autre rien qu’en tournant le bouton. Entendre des voix étrangères, sauter d’un continent à l’autre juste en bougeant l’aiguille de quelques millimètres. 

Aujourd’hui cette magie de l’aiguille n’existe plus, remplacée par un poste moderne avec un affichage digital. Et puis à quoi bon ? Le monde est maintenant accessible d’un seul clic. Facile. Trop peut-être ?

1981

Je n’ai pas de souvenir très net de ces premières années passées à F.

Il me manque des années entières, effacées. Perdues je ne sais où. Des années passées à faire je ne sais quoi. J’ai beau fouiller dans ma mémoire, rien ne vient. Un peu comme si le temps s’était soudainement dissout ou arrêté.

Je ne sais pas comment ce phénomène a pu se produire, est-ce que j’ai continué à marcher en ne pensant qu’au prochain pas ?

Est-ce que le monde est soudain devenu transparent ?

J’ai souvent cette curieuse sensation d’être « à côté », là, mais pas tout à fait. Là, mais ailleurs, en avance ou en retard d’une toute petite seconde, comme décalé.

On va arrêter là avec ces divagations, je n’ai de toutes façons pas l’intelligence suffisamment déliée pour pouvoir aller au bout de cette réflexion. Et puis tu n’es pas venu ici pour ça.

1981

Sortie de l’album « Ainsi soit-il »

Louis Chedid

Je n’en ai pas de souvenir très net non plus, je ne l’ai jamais écouté en totalité.

Un titre seulement qui surnage au dessus du vide. Un titre retrouvé hier soir par hasard. J’aurai aimé l’entendre en tournant le bouton de la vieille radio. Entendre les crachotis dans le haut-parleur jusqu’à ce que la voix, les notes surgissent enfin nettes.

« Flash-back tu regardes en arrière
Oui toutes les choses que t'as pas pu faire
Tu voudrais disparaître dans l'rétroviseur
Mais personne n'a jamais arrêté l'projecteur »

Un peu de la magie de la radio est définitivement perdue. Dommage ? Je n’en sais rien. 

Sans doute un peu.



A samedi prochain pour d’autres magiciens.

Je vous laisse en vous offrant ce très beau texte de l’ami Bembelly.

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