samedi 18 avril 2015

Les magiciens du samedi



Je sais.

Je sais les amis que je vous ai déjà donné ce concert il y a quelques semaines. Une monomanie ? Peut-être bien.

Ou peut-être l’envie de ne pas oublier les années café-crème. Des années bénies. Je garde intact le souvenir de cette immense maison offerte à nos jeunes années. Une étrange maison, toujours ouverte.

Jour et nuit.

Un labyrinthe de pièces. Une cuisine immense, entièrement vitrée, les jours de pluie ou d’orage nous avions le sentiment d’être happés par la tempête. J’entends encore le vent hurler, le vacarme de la pluie sur les vitres soudainement devenues aveugles. Le jardin à l’abandon reprenait vie. Les herbes hautes affolées. Le vieux chêne gémissant comme le mât d’un navire dans une mer déchaînée nous attirait. Nous prenions la pluie, froide, heureux cependant sous la sauvagerie du ciel hostile.

Je me souviens aussi de cet étrange docteur, propriétaire des lieux, que nous voyions parfois surgir de nulle part pour disparaître aussitôt. Une ombre bienveillante dans la lumière de notre jeunesse.

Les notes parfois envolées des touches noires et blanches sous ses doigts habiles. Le long piano noir recouvert de partitions oubliées, de photos de cette femme repartie vers ces pays du froid. Ses improvisations magistrales envahissaient l’espace, interrompaient pour quelques instants nos jeux et nos cris.

La plupart du temps nous fermions tous les volets, préférant les ambiances tendres des faibles lampes allumées un peu partout, une lumière adoucie encore par la brume de nos cigarettes. Nous avons usé des heures lentes là-bas, oublié les cours souvent.

Il me reste aussi de ces années la poésie désabusée de Thiéfaine. Le temps des vinyles, sortir la galette noire de son écrin de carton, poser délicatement la pointe de diamant dans le premier sillon. Un autre temps, pas d’immédiateté. Un prélude amoureux avant le bonheur des premières notes. Frissonner aux premiers accents. La lame glacée qui sabre l’échine quand les cordes vibrent.

Aujourd’hui l’émotion reste intacte, une douce chaleur me saisit dès les premiers accords. Immobile devant l’écran, hypnotisé, je repense à ces autres heures. Bien des années plus tard les regards sont toujours comme habités.


Et je contemple la beauté des mains d’Alice Botté, un autre magicien.



4 commentaires:

  1. Un grand merci pour l'ambiance, le café crème et la musique !

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    1. J'aime bien, le temps d'un morceau, me replonger dans ces années-là. Je ne sais pas si c'est le passé qui enjolive les souvenirs, toujours est-il que ce furent des heures heureuses.

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