vendredi 5 février 2016

22.32

Le tiers livre et scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de « vases communicants » : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
La liste des participants de ce mois et la recension de l’exercice sont établies maintenant par eclectante, qui succède à Angèle Casanova, après la gestion d’anthologie qui en fut réalisée par Brigitte Célérier.
Aujourd’hui, j’ai le grand plaisir d’accueillir Danielle Masson tandis qu’elle a la gentillesse de publier mon texte sur sa page.


21.02
Mary va s’inquiéter.
Je devrais être déjà rentré à la maison.
Mais il y a toujours à faire… au dernier moment.
Le dernier client est arrivé à 19.45, le précédent était passé à 16.32.


Comment cela, je suis précis.
Oui très précis. Je vois si peu de clients, chaque jour, à la station.
Je note tout sur mon petit carnet.
Celui-là a une couverture avec Caliméro dessus. Un cadeau de mon petit-fils. « Pour que tu n’oublies rien, Papy ».
Ce n’est pas par peur d’oublier que je note tout, c’est pour écrire un roman.
Non, plutôt une histoire sur les gens qui viennent ici.
Ceux de passage, ceux qui viennent toujours le même jour de la semaine, ceux dont j’ai connu le père ou la grand-mère.

J’en aurais des choses à raconter.

Mais revenons à aujourd’hui.
Il est maintenant 21.43 et je suis encore à la station.
Pourquoi vous demandez-vous. Un peu de patience.
Normalement, je ferme toujours à 20.00 précises, après avoir relevé le compteur des trois pompes rouges. Il le faut, car nous sommes très surveillés, nous les pompistes. C’est au gallon près.


Et je ne suis qu’un employé.
D’accord, depuis quarante ans, je m’occupe de cette station.

Au début, je servais les clients avec un mot gentil pour chacun d’eux.
Je lavais leur pare-brise, vérifiais le niveau d’huile, la pression des pneus.

J’étais aux petits soins pour les clients de la station 32, juste à la sortie du village.

Je les connaissais presque tous par leurs prénoms.

Maintenant, ils se servent eux-mêmes, me regardent à peine en me tendant leur carte de paiement. J’aimerais pourtant engager la conversation ou leur dire juste bonjour ou merci ou au revoir.

Ils ne me voient même pas.

Et ce soir, vous ne devinerez jamais… juste au pied du présentoir de bidons d’huile… un couffin avec un petit ange aux cheveux noir ébène.

Je n’ai vu personne le déposer… je n’ai rien entendu…
Et si c’était mon dernier client, celui dont la voiture avait les vitres fumées…

Je ne me souviens même plus de son visage.
C’est vrai qu’il cherchait à m’éviter mais il faut que je me souvienne.

J’ai appelé le poste de police mais personne ne pouvait venir tout de suite. Il fallait attendre. Heureusement, le bébé dormait comme si de rien n’était.

Je devrais être depuis presque deux heures à la maison.
Mary va s’inquiéter.
Il est 22.32.


8 commentaires:

  1. Hopper se marie fort bien avec ce bébé abandonné (comme si les pompes étaient enceintes, à l'époque)...

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  2. Je suis contre le métissage et le vivre-ensemble ! Le premier qui menace de venir essuyer ses godasses merdeuses sur mon paillasson, je lui vitriole la tronche !

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    1. M'enfin Didier ! Z'êtes bien chagrin aujourd'hui....

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    2. Chagrin, moi ? Point ! Je fais mon boulot de troll, c'est tout…

      Du reste, j'ai déjà ouvert mon blog à quelques SBF, par le passé…

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  3. Mary se ferait sûrement un plaisir de cajoler ce bébé si on le lui ramenait à la maison, dans son panier. Endormi. Un miracle...

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  4. merci de vos petits mots. Un plaisir de voir mon texte ici

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  5. Bien d'accord avec Dominique Hasselmann
    on sent bien "la seconde échappée"
    décrite par Christine Jeanney (http://www.qazaq.fr/pages/hopper/)
    ce temps qui dure quasi immobile

    Et puis cette histoire en une page
    où la magie hopper (je n'ai pu résister ... désolé²)

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  6. Sympa l'idée de récupérer des tableaux et d'inventer une histoire !

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