Après avoir vainement cherché,
fouiné, exploré les méandres tortueux d’internet à la recherche d’un tableau,
de guerre lasse j’ai finalement posé cette question dans Twitter.
J’ai d’ailleurs eu une réponse
qui m’a beaucoup fait rire. Un vrai gosse....
J’ai aussi interpellé quelques
uns de ceux dont je pensai qu’ils pourraient m’aider dans ma recherche. Tous se
sont gratté la tête, ont essayé de m’aider et je les en remercie vivement.
Mais la solution était
ailleurs.
Je ne sais plus trop comment
ma fée et moi en sommes venus à parler de peintres et de tableaux hier soir.
Nous cherchions, je crois, un
tableau dont elle pourrait s’inspirer pour une sorte de concours de couture, m’enfin
un truc dans le genre « loisirs créatifs ».
De fil en aiguille
(décidément....) j’en étais arrivé à Caillebotte, un peintre dont j’apprécie
tout particulièrement les œuvres. Malheureusement je n’ai encore jamais pu en
voir une seule « en vrai ». Ça viendra sans doute un jour, j’ai
encore un peu le temps.
Bien sur, il y a les Raboteurs de parquet, probablement un des tableaux les plus connus lorsque l’on parle de Caillebotte. C’est d’ailleurs par un aperçu de ce tableau que j’ai découvert
ce peintre et commencé à aimer son travail.
Mais il y en a tant d’autres.
Parmi eux, il en est un que j’aime par-dessus tout, il s’agit de celui intitulé
Le Pont de L’Europe. Je ne sais pas expliquer ce qui m’attire dans ce tableau,
ce qui fait que je retourne souvent le voir, mais est-ce si important de savoir
pourquoi on préfère telle œuvre à une autre ?
Je n’en sais rien, je ne crois
pas.
Selon moi seules comptent l’émotion,
le plaisir de contempler, de découvrir presque à chaque fois de nouveaux détails
dans un tableau que l’on croit pourtant bien connaître.
Revenons-en à mon histoire de
tableau imaginaire. Parce que maintenant je sais qu’il n’existe pas. Tout au
moins, pas ailleurs que dans ma pauvre cervelle.
Je cherchai donc un tableau qui représente une scène de noces à la campagne.
Ce truc m’a tracassé à un point
que ce n’est presque pas imaginable. Une véritable obsession. Je me suis endormi hier soir en y pensant, la lecture quotidienne qui m’aide à m’endormir le soir en a
été toute perturbée. Je devrai probablement revenir plusieurs dizaines de pages
en arrière ce soir pour reprendre le fil du récit. Peu importe....
Je me suis réveillé ce matin
avec cette histoire de tableau, j’y ai pensé tout le long du chemin qui me mène
d’abord au bistrot et ensuite au boulot. Tout au long de la journée j’y ai
aussi vaguement songé.
Ils ne pouvaient pas savoir
que je recherchai une chimère.
Ça m’est venu d’un seul coup
en lisant un mail, ou plutôt en lisant le nom de l’expéditeur.
Une légère analogie. Legrand.
Une sonorité qui m’était
connue.
Et soudain je me suis souvenu.
Bongrand !
La solution était là. Je suis
tout de même allé vérifier.
C’était bien ça, Zola, L’Œuvre :
Mais,
à ce moment, un coup de sonnette le stupéfia. Au milieu du silence brusque des
autres, il reprit :
« À
onze heures ! qui diable est-ce donc ? »
Il
courut ouvrir, on l’entendit jeter une exclamation joyeuse. Déjà, il revenait,
ouvrant la porte toute grande, disant :
« Ah !
que c’est gentil, de nous aimer un peu et de nous surprendre !… Bongrand,
messieurs ! »
Le
grand peintre, que le maître de la maison annonçait ainsi, avec une familiarité
respectueuse, s’avança, les mains tendues. Tous se levèrent vivement,
émotionnés, heureux de cette poignée de main si large et si cordiale. C’était
un gros homme de quarante-cinq ans, la face tourmentée, sous de longs cheveux
gris. Il venait d’entrer à l’Institut, et le simple veston d’alpaga qu’il
portait avait à la boutonnière une rosette d’officier de la Légion d’honneur.
Mais il aimait la jeunesse, ses meilleures escapades étaient de tomber là, de
loin en loin, pour fumer une pipe, au milieu de ces débutants, dont la flamme
le réchauffait.
« Je
vais faire le thé », cria Sandoz.
Et,
quand il revint de la cuisine avec la théière et les tasses, il trouva Bongrand
installé, à califourchon sur une chaise, fumant sa courte pipe de terre, dans
le vacarme qui avait repris. Bongrand lui-même parlait d’une voix de tonnerre,
petit-fils d’un fermier beauceron, fils d’un père bourgeois, de sang paysan,
affiné par une mère très artiste. Il était riche, n’avait pas besoin de vendre,
et gardait des goûts et des opinions de bohème.
« Leur
jury, ah bien ! j’aime mieux crever que d’en être ! disait-il avec de
grands gestes. Est-ce que je suis un bourreau pour flanquer dehors de pauvres
diables, qui ont souvent leur pain à gagner ?
–
Cependant, fit remarquer Claude, vous pourriez nous rendre un fameux service,
en y défendant nos tableaux.
– Moi,
laissez donc ! je vous compromettrais… Je ne compte pas, je ne suis
personne. »
Il y
eut une clameur de protestation, Fagerolles lança d’une voix aiguë :
« Alors,
si le peintre de la Noce au village ne compte pas ! »
Mais
Bongrand s’emportait, debout, le sang aux joues.
« Fichez-moi
la paix, hein ! avec la Noce. Elle commence à m’embêter, la Noce,
je vous en avertis… Vraiment, elle tourne pour moi au cauchemar, depuis qu’on
l’a mise au musée du Luxembourg. »
Cette Noce
au village restait jusque-là son chef-d’œuvre : une noce débandée à
travers les blés, des paysans étudiés de près, et très vrais, qui avaient une
allure épique de héros d’Homère. De ce tableau datait une évolution, car il
avait apporté une formule nouvelle. À la suite de Delacroix, et parallèlement à
Courbet, c’était un romantisme tempéré de logique, avec plus d’exactitude dans
l’observation, plus de perfection dans la facture, sans que la nature y fût
encore abordée de front, sous les crudités du plein air. Pourtant, toute la
jeune école se réclamait de cet art.
« Il
n’y a rien de beau, dit Claude, comme les deux premiers groupes, le joueur de
violon, puis la mariée avec le vieux paysan.
– Et
la grande paysanne, donc, s’écria Mahoudeau, celle qui se retourne et qui
appelle d’un geste !… J’avais envie de la prendre pour une statue.
– Et
le coup de vent dans les blés, ajouta Gagnière, et les deux taches si jolies de
la fille et du garçon qui se poussent, très loin ! »
Bongrand
écoutait d’un air gêné, avec un sourire de souffrance. Comme Fagerolles lui
demandait ce qu’il faisait en ce moment, il répondit avec un haussement
d’épaules :
« Mon
Dieu ! rien, des petites choses… Je n’exposerai pas, je voudrais trouver
un coup… Ah ! que vous êtes heureux, vous autres, d’être encore au pied de
la montagne ! On a de si bonnes jambes, on est si brave, quand il s’agit
de monter là-haut ! Et puis, lorsqu’on y est, va te faire fiche ! les
embêtements commencent. Une vraie torture, et des coups de poing, et des
efforts sans cesse renaissants, dans la crainte d’en dégringoler trop
vite !… Ma parole ! on préférerait être en bas, pour avoir tout à
faire… Riez, vous verrez, vous verrez un jour ! »
La
bande riait, en effet, croyant à un paradoxe, à une pose d’homme célèbre,
qu’elle excusait d’ailleurs. Est-ce que la suprême joie n’était pas d’être
salué comme lui du nom de maître ? Les deux bras appuyés au dossier de sa
chaise, il renonça à se faire comprendre, il les écouta, silencieux, en tirant
de sa pipe de lentes fumées.
Un simple rêve sorti des dizaines de lecture
que j’ai faite de ce texte. De ces lectures, de la précision de l’écrivain est
né ce tableau, il s’est mis à exister. Je le voyais si bien hier soir, et aussi toute cette journée....il était réel,
il devait être quelque part.
Il n’avait malheureusement pas
d’autre réalité que celle que mon esprit avait bien voulu lui accorder. La
force de l’écriture de Zola avait enfanté un tableau fantôme.
Il me semble que maintenant
je suis un peu triste de savoir que jamais je ne le verrai autrement qu’en
rêve.