Qui d’autre ? J’ai couru,
remonté la ruelle depuis la plage.
Personne.
Des vieux volets de la villa
sortent seulement quelques raies de lumière pâle, presque incertaine dans le
brouillard.
J’avais la gorge brûlée par le
froid et la course, les yeux emplis de larmes.
Le froid peut-être ?
J’ai fouillé mes poches, sorti
une cigarette du paquet chiffonné, cherché dans les plis du manteau un abri
pour la flamme. Le vent comme des lames de rasoir, un vent d’odeurs aussi.
Je me suis posé un moment sur
un petit muret face à la maison où j’avais cru l’apercevoir. Allumé une autre
cigarette. Je sentais le froid du béton m’envahir peu à peu.
J’ai pensé à eux, réunis
autour de la table familiale, à leurs rires, à leurs voix mêlées. Souvent des
mots de peu, le ciment des familles. Une fois de plus j’avais refusé de partager
la douceur d’être réunis.
J’avais un autre rendez-vous.
Une idée fixe. Aller voir ma
mer le soir de Noël.
Arpenter la longue plage
déserte, des aller-retours sans autre but que celui d’épuiser la peine,
parcourir aussi les rues peu à peu envahies par le sable, des rues dépeuplées par
les vents rudes de l’hiver.
Un labyrinthe fait d’angles
droits. Un labyrinthe vide où se perdre.
Au bout d'un long temps je me suis levé du muret trop froid. Donné un dernier regard aux volets
clos et suis retourné vers la plage, descendu la volée de marches, repris mon
voyage sur le sable lourd. Un voyage au bout de l’inutile.
A quoi bon toujours se
retourner ?
A quoi bon chercher à m’épuiser.
A quoi bon chercher à me punir ? Seulement penser à tenir la promesse faite de
continuer le chemin. Ne pas lâcher.
Dans l’immense solitude,
marcher au bord de l’eau, écouter et sentir. Reculer peu à peu devant le flot. Si
ce n’était l’obscurité pouvoir me retourner et contempler mes pas qui s’impriment
en diagonale dans le sable. Des traces qui s’effacent peu à peu, devenir une
fois de plus invisible.
La vie ignore les lignes
droites, c’est comme ça, il n’y a pas grand-chose à y faire.
Une vie comme une pelote de
laine que l’on déroule petit à petit.
Approcher du prochain virage,
ne pas savoir ce que l’on va découvrir au détour du chemin. Espérer que la
pente ne sera pas trop rude, qu’il n’y aura pas trop de pierres qui roulent
sous les pas et puis découvrir que le sentier est tortueux, semé d’ornières.
Des ornières quelquefois profondes, de ces ornières dont on ressort grandi,
plus fort. En apparence seulement. Des ornières qui peuvent aussi laisser des
traces. Des blessures qui même si elles cicatrisent ne s’oublient pas. Les
mauvais jours, tout le mal revient à la surface, les yeux se voilent, l’oreille
devient sourde à l’extérieur. La carapace si dure en apparence se couvre de
fissures, des fissures infimes en surface, en réalité des falaises dont il ne
vaut mieux pas s’approcher. Le vent y souffle en tempête en permanence, les
vagues d’une mer hargneuse travaillent chaque jour à détruire la roche, lentement,
surement. L’équilibre est là, d’un côté la force des éléments, de l’autre un
homme qui lutte pour ne pas tomber.
Marcher encore, ne plus savoir
le temps, attendre l’aube. Attendre un autre matin, reprendre le cours d’une
vie interrompue. Refermer la parenthèse de dix années de solitude.
Un autre décembre.
Posée là dans un coin de la
terrasse, une petite chaise verte. Avec son air de rien, tu ne soupçonnes pas
toute l’importance qu’elle peut avoir.
Elle aussi a une longue
histoire. Elle n’aurait jamais du arriver jusqu’ici. Elle a passé de longues
années dans une église dans un village de Flandres. Elle a connu des joies, des
peines. Entendu souvent les petites prières de ceux qui sont venus chercher
dans Sa maison un peu de réconfort.
La fée qui m’accompagne
désormais lui a redonné vie. Patiemment, elle l’a débarrassée de la rouille qui
la rongeait. Pour ne pas trop effacer les histoires gravées en elle, ses lattes
de bois ont été poncées doucement, avec tendresse presque. Une couche de
peinture vert tendre emprisonne ses souvenirs.
Je vais souvent m’y poser. Ce
n’est pas tant qu’on y soit confortablement installé que le signe que la vie a
repris son cours un moment interrompu. Peu importe qu’il fasse soleil, pluie ou
vent, je savoure la douceur des minutes paresseuses. J’écoute le temps s’écouler
doucement.
Je me retourne moins souvent
sur tout le mal.
Je repense aujourd’hui à mes
anciens rendez-vous avec la mer le soir de Noël, je repense à ma longue
attente, à la morsure du froid et de l’humidité. Je repense à cette ombre aperçue
il y a quelques années.
Je savais bien ce qu’il en
était.
Juste un homme, en habits de Père-Noël.
Moi aussi, à cette époque, je faisais
semblant.
Je comprends maintenant...
RépondreSupprimerMerci pour ce beau partage et joyeux Noël !
Un tout petit mystère et une histoire bien banale.
SupprimerPasse un beau Noël.
Très beau
RépondreSupprimerJoyeux Noël à vous
Merci Claudine, je vous souhaite de passer une belle journée de Noël.
SupprimerIl y a comme une sorte de mélancolie "durassienne" dans ce beau texte avec le retour près des vagues et de la plage... (Marguerite Duras a habité aux "Roches noires" à Trouville-sur-Mer).
RépondreSupprimerBeau janvier !
Mélancolie, oui. Mais pas de nostalgie pour une fois. Ce furent des années sombres, comme une longue absence.
SupprimerIl est fort probable que j'aille voir ma mer dans les prochains jours, je ne l'aime qu'hors saison. J'irai marcher au bord de l'eau, lentement.
Sur le sable quatre empreintes de pas, sur mon bras le poids léger de la main d'une fée.
Je n'ai pas d'autres mots : très beau billet !
RépondreSupprimerMerci.
Supprimermerci de cette douce histoire au bord des vagues. "J’écoute le temps s’écouler doucement.
RépondreSupprimerJe me retourne moins souvent sur tout le mal." Je suis sensible à ces deux phrases. Elles amènent une certaine rondeur et douceur à la vie. Bon Noël et bonne année à vous.
Merci d'avoir passé un moment en compagnie du petit bonhomme.
SupprimerUne certaine douceur oui. Et pourtant je voudrai qu'il n'y ait pas de passé....ou peut-être pouvoir tourner bien vite quelques pages.