lors que d’ordinaire je ne
suis pas de ceux que la perspective d’une journée aux longues heures immobiles
effraie ; vous savez ce genre de journée pendant laquelle on se traine du
fond du canapé vers la porte du frigo et retour ; ce jour là fut différent. J’ai toujours pensé que
boire un café seul est la chose la plus déprimante qui soit.
Donc, par un après-midi long
comme un trottoir de boulevard un jour de pluie, tenaillé par une envie de
caféine, après maintes tergiversations (j’y vais, j’y vais pas) (je vous
souhaite de ne pas avoir de plus grave décision à prendre...), je me décide
tout de même à sortir de ma caverne pour aller pousser la porte de mon bistrot
préféré. Enfiler avec délices ce vieux Levis (vous avez sans doute le
même, celui que vous avez tant porté qu’il est comme une seconde peau), un pull
et voilà que de l’aspect « ours » je passe au statut de presque
fréquentable.
Cinq minutes de voiture. Me
voici à la porte de mon bistrot.
Il ne paye pas de mine mon
bistrot préféré avec sa façade défraichie, mais je l’aime comme il est. Je m’y
sens bien, c’est un peu ma seconde maison, un passage obligé avant le boulot, mon
refuge quand les heures de solitude sont trop lourdes à porter. Avec son zinc ;
un vrai de vrai , poli par les coudes des clients depuis tant d’années et
ses pompes à bière si brillantes d’avoir été astiquées par la patronne ; c’est
un bistrot de campagne, c’est un peu l’autre place du village.
Ne croyez pas surtout que c’est
pour moi un lieu d’ivresse, ou alors peut-être d’une ivresse différente.
Non, c’est surtout un lieu de
rencontres, de celles que l’on ne fait qu’en ces lieux.
Faut que je vous dise que dans
mon bistrot tout le monde se serre la main. Habitués, inconnus ; je ne
sais comment c’est venu mais c’est comme ça. Vous me direz que c’est un geste
social normal, que c’est très courant, je ne vais pas vous faire ; je n’en
suis pas capable ; un cours de sociologie relatif aux pratiques dans les
bistrots de la France rurale.
Ceci posé, j’entre dans mon
bistrot, je salue les copains, la patronne et au bout du comptoir une inconnue.
Vous dire que c’est la plus
belle jeune femme que j’ai jamais croisé serait mentir. Non, juste une jeune
femme, ni plus ni moins belle qu’une autre.
Je m’installe comme à mon
habitude près de la machine à café, un petit coin d’où je peux voir les gens
entrer et sortir. MON petit coin, même que certains qui me connaissent me cèdent
volontiers la place. Sont trop gentils avec moi mes potes de bistrot.
Je n’ai pas fait plus
attention que ça à la fille à l’autre bout du comptoir, nous avons échangé
quelques regards, quelques brèves paroles noyées dans le reste des
conversations.
Elle a fini par régler ses
consommations, s’est levée du tabouret sur lequel elle était perchée, nous a
souhaité un bon après-midi et est partie.
C’est plus tard, longtemps
plus tard que j’ai repensé à cette jeune femme du bout du comptoir. Ou plutôt,
c’est à la façon dont elle m’a serré la main que j’ai repensé. Je n’y avais pas
pris garde sur le coup.
Sa main était chaude, douce.
Ce qui continue de m’intriguer je l’avoue, c’est ce frémissement que j’ai senti
lorsque nos mains se sont touchées. Pourquoi ce tremblement, pourquoi cette
poignée de main a-t-elle été aussi longue et appuyée ?
Il y a long depuis cette brève
rencontre, je reste avec mes questions.
Je ne l’ai jamais revue.