Rien à voir avec le sujet qui
a intéressé Nicolas et Seb Musset il y a quelques jours.
Encore que j’aurais pu
y mettre mon grain de sel, préférant me rendre chez un bon vieux libraire
plutôt que de céder à la facilité de quelques clics sur un site de vente en
ligne.
Si la plupart du temps je sais
avant de pousser la porte ce que je suis venu chercher, j’aime ce temps de flânerie,
caresser du regard ces dos offerts, aller de l’un à l’autre, feuilleter
quelques pages, m’arrêter sur une ligne ou un paragraphe au hasard.
Certains pour appuyer leurs choix de l’achat en librairie argueront du conseil avisé du libraire or si je n’ai
pas besoin du libraire pour me dire ce que je dois lire, si je n’ai pas besoin
non plus de lui pour me dire ce qu’il serait bon que je lise, j’apprécie néanmoins
qu’il me donne son avis, son sentiment sur tel ouvrage que je me propose d’acquérir.
Mais je ne suis pas dupe, si cet aimable commerçant me dirige vers tel auteur
plutôt que vers tel autre, vers telle maison d’édition plutôt que vers telle autre c’est
que bien souvent il y trouve un intérêt financier. Tout ceci ne me pose pas de
problème, après tout il faut bien que ces gens gagnent de l’argent. Et puis au
final je fais toujours ce que je veux, ne cédant jamais (presque jamais) aux
sirènes du dernier auteur à la mode, celui qu’il faut absolument avoir lu sous
peine de passer pour un inculte...
Bien sûr il reste des purs,
des femmes et des hommes qui ont fait des mots leur raison de vivre, des
passionnés de littérature qui lisent tout ce qui orne les rayonnages de leurs librairies. Des gens qui vouent à l’objet « livre » un culte exclusif.
J’ai eu la chance d’en connaitre de ceux là, il y a longtemps, ils ne sont plus
là. Disparus je ne sais où. Je les imagine aujourd’hui vivants seuls au milieu
de leurs compagnons de papier, un peu tel cet autre dans cette scène écrite par
Giono dans son Hussard sur le toit.
La
pièce était éclairée par le grand brasier de l’âtre. La haute fenêtre qui
donnait sur les ruines ne laissait pas entrer beaucoup de jour ; ses
petits carreaux étaient embrumés de l’extérieur par les nuages qui passaient à
ras de terre et à l’intérieur par un épais encadrement de poussière. Les
flammes qui jaillissaient avec assez de force d’énormes bûches permettaient de
voir l’énorme entassement de meubles très riches mais fort mal entretenus et
tous surchargés de gros bouquins et de tas de papiers sur lesquels s’essayaient
à l’équilibre des pichets, des brocs, des bols, des cuvettes, des bouteilles,
des casseroles, des louches, des pipes de toutes grosseurs, de toutes les
formes et même des tiroirs pleins d’ustensiles de cuisine. Des étagères
chargées de livres en files inclinées comme les blés sous le vent couraient
tout le tour des murs. Les tables, rondes, carrées ou ovales et les guéridons
que le poids de la paperasse éreintait et qui inclinait leurs plateaux de
droite et de gauche, les commodes, les secrétaires, les tabourets placés au
hasard et entre lesquels circulait une sorte de sentier, laissaient cependant
devant le feu un assez grand espace libre dans lequel étaient placés deux
fauteuils se faisant vis-à-vis et une très jolie table à jeux, fine comme une
belle enfant. La table portait une lampe à pompe et un livre ouvert. Tout, sauf
cette table, cette lampe, ce livre et un des fauteuils, était saupoudré de poussière
blanche.
D’autres me diront que l’achat
en ligne c’est l’avenir, que les étagères virtuelles sont bien plus garnies que
ne sauraient l’être celles de mon libraire, que chez ces marchands point d’horaires,
tout est disponible, toujours, tout le temps, juste au cas où il me prendrait l’envie
soudaine à trois heures du matin de m’offrir la biographie de Djamolidine
Abdoujaparov, ce coureur cycliste ouzbek connu aussi sous le sobriquet de l’ « Express
de Tachkent ».
On a parfois de curieuses
envies à trois heures du matin...
Je sais bien que mon refus de
céder à la tentation de l’achat sur des sites tels qu’Amazon (« Des milliers
de produits en stock ») ne sauvera pas les petites librairies, elles vont
continuer de disparaître les unes après les autres. Ces changements sont
inéluctables. Ne resteront que quelques boutiques qui, à côté du dernier Cyril
Lignac, des guides de bien-être et autres machins à la mode (parce qu’il faut
bien payer le loyer du fonds de commerce mon brave monsieur) proposeront sur
leurs tables de vrais livres.
Avec tout ça j’en ai presque
oublié le pourquoi de ce billet.
Juste une anecdote de lecture.
L’autre soir, comme chaque
soir d’ailleurs, je lisais tranquillement. Un peu distraitement aussi. Si ma
préférence va aux auteurs « classiques », il m’arrive, quitte à être
déçu, de céder parfois à la tentation de la nouveauté.
Je lisais donc, ou plutôt je
vagabondai parmi des pages insipides. Au détour d’un point, une phrase en
caractères gras. Ni une ni deux, me voilà cliquant sur la phrase attendant
vaguement qu’une autre fenêtre s’ouvre... Comme si le livre n’était plus
suffisant, comme si ma boulimie de savoirs me poussait à chercher au-delà des
mots imprimés.
A moins que je me sois un
peu assoupi ?