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urieuse chose que la mémoire.
Mémoire des lieux, de certains moments particuliers d’une existence, mémoire
des odeurs, de textes lus aussi.
Il aura fallu bien peu de
choses pour que ressurgissent du passé des images oubliées ; un simple
empilement de menues branchettes et me voilà reparti pour un voyage immobile.
Je sens encore l’odeur âcre et
épaisse de la fumée de ces feux que nous allumions dans le jardin familial aux
derniers jours de l’été et dans lesquels nous mettions à cuire les pommes de
terre que nous venions de récolter. Un peu plus tard, je revois mon fils, tout
minot, assis au milieu du jardin, occupé des mêmes gestes simples sous l’œil attentif
d’un grand-père attendri. A l’évocation de ces moments privilégiés qui ne se
reproduiront plus la gorge se serre et les yeux s’embrument. La mémoire peut aussi
être d’une douce cruauté.
Mémoire encore d’un texte lu pour
la première fois il y a bien des années et que je relis toujours avec la même
émotion. Un texte qui me ramène vers les souvenirs de l’enfance garçonnière.
Une enfance faite de cabanes, de « batailles » que le passé rend
épiques ; souvenir aussi de ces maraudes dans les jardins voisins desquels
nous ressortions la bouche sucrée par les orgies de cerises dévorées sous l’arbre.
Je vous laisse sur un court
extrait de La guerre des boutons de Louis Pergaud, texte qui a inspiré un
merveilleux film à Yves Robert.
« Il était entendu que l’on
commencerait dés que les pommes de terre seraient prêtes : Camus et Tigibus
en surveillaient la cuisson, repoussaient les cendres, rejetaient les braises,
tirant de temps à autre avec un petit bâton les savoureux tubercules et les
tâtant du bout des doigts ; ils se brûlaient et secouaient les mains,
soufflaient sur leurs ongles, puis rechargeaient le feu continuellement. »
« ...les derniers
servis lorgnaient les boules grises dont la chair d’une blancheur mate fumait
en épandant un bon parfum sain et vigoureux qui aiguisait les appétits. On
éventrait la croûte, on mordait à même, on se brûlait, on se retirait vivement
et la pomme de terre roulait quelquefois sur les genoux où une main leste la
rattrapait à temps ; c’était si bon ! Et l’on riait, et l’on se
regardait, et une contagion de joie les secouait tous, et les langues commençaient
à se délier. »
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