Un vieux théâtre perdu au fond
d’une ruelle sombre.
Les néons de l’affiche peinent
à percer la brume de la touffeur de cette nuit d’été. Juste le halo rougeâtre
qui se reflète sur le pavé qu’une averse soudaine a rendu gras. L’air épais,
immobile après l’ondée, pèse sur la nuit. Un peu plus loin, les quais, vides,
noirs.
Ce soir encore, ils ne seront
que quelques spectateurs à affronter la centaine de mètres de cette rue perdue
dans le bruissement immense de la ville. Ils savent quelle pièce s’y joue.
Une pièce ?
Ils savent que ceux qui jouent
là ne sont que des écorchés. Cracheurs de feu, cracheurs de mots. Des mots qui
cinglent, des mots qui disent la douleur, des mots qui vrillent. Le graillon
des voix âpres transperce l’espace, saisit aux tripes dans le silence
assourdissant de la salle. Chaque mot, chaque phrase est une lame qui glace les
échines.
Conteurs sortis de nulle part,
ils disent la violence d’être des effacés. Des oubliés. Ils disent la rue, les
galères, les réveils brutaux quand jetés à la rue sans pitié il ne leur reste
plus que l’abri incertain d’une encoignure de porte pour épuiser la fatigue.
La nuit avance, des silhouettes
rares font les cents pas devant la porte à tambour du théâtre. A chaque passage
la lumière crue les éclaboussent un instant révélant le rouge violent des
lèvres, le noir charbonneux des yeux que les nuits hasardeuses creusent chaque
fois un peu plus.
Elles préfèrent être habillées
d’ombre, là où est encore l’illusion.
La grande ville va les absorber
peu à peu, bientôt elles ne seront plus que traces dans quelques mémoires.
Traces monnayées d’un moment d’oubli. Des solitudes mêlées qui hurlent entre
des murs anonymes. La faible lumière jaune de l’unique ampoule au plafond
accentue la pauvreté des chairs offertes. Les regards se détournent, cherchent
derrière les vitres sales les prémices de l’aube salvatrice.
Après l’abandon, elles écoutent le
premier métro qui charrie sa cargaison d’autres solitudes.
Plus loin, juste sous le pont,
l’eau noire du fleuve, presque immobile, berce les rêves d’un homme. Un invisible.
Recroquevillé sous quelques journaux, réfugié dans un demi-sommeil, il attend
un autre matin.
Tôt, il secouera la poussière de la nuit, remontera les
quelques marches, poussera la barre de cuivre de la porte du bistrot qui l’accueille
chaque jour. La parole rare, il s’accordera quelques minutes de répit en dehors
du temps. Le sac qui contient toute sa vie, le peu qui lui reste, est posé à
ses pieds. Tout à l’heure il le jettera sur son épaule et reprendra sa marche,
marcher encore. Toujours. Marcher pour se sentir vivant malgré tout. Là, au bout
du zinc, muet, inaccessible aux autres clients, le regard plongé dans le noir
de la tasse posée devant lui, il s’est refusé une fois encore le doux du sucre.
Comme une autre punition.
Juste l’amer du mauvais café.
Il plonge la main dans
la poche de sa veste, en sort une vieille boîte cabossée, quelques feuilles. Ses
doigts malhabiles que le froid a rendus gourds essaient de rouler une première
cigarette.
Première béquille.
Une superbe alchimie entre texte et musique/voix.
RépondreSupprimerMerci ;)
Supprimeret n'interdisez donc pas les béquilles, vous les pétant de santé et bonne conscience
RépondreSupprimerLoin de moi l'idée d'interdire quoi que ce soit. D'ailleurs je serai malvenu d'y songer puisque j'en fait moi-même usage et ce plus que de raison.
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