Hier soir j'étais fort occupé à perdre mon temps.
19h47
Le quai toujours vide.
Attendre dans ce quartier de
la gare de L, laisser le regard errer au hasard.
Accrocher du coin de l’œil l’antique
façade de l’Européen.
La porte à tambour ne bat plus.
Des années se sont écoulées depuis que, alerté par le frôlement des pas sur le
carmin de la laine des tapis, le dernier homme aux clefs d’or ne délaisse un
moment ses registres et ne lève les yeux par-dessus ses verres pour accueillir
le voyageur.
J’ai frissonné un peu, remonté
d’un cran le chauffage de la voiture, allumé aussi une autre cigarette.
Un peu plus loin une ombre s’encadre
dans la lumière un peu pâle, pousse la porte du café de la gare. Je l’imagine,
l’homme, déjà loin dans la solitude de la salle, le bras fatigué abandonné sur
le comptoir, le regard perdu dans l’ambre du verre posé devant lui. Peut-être
qu’il va se quitter peu à peu, entrer dans une autre solitude.
Occupé à perdre mon temps.
J’ai pris conscience du
bavardage de la radio, j’ai tourné la molette au hasard.
Une voix sortie du passé.
Je me suis souvenu de cet
après-midi de fin d’été, nous avions recherché l’ombre. J’ai aperçu les visages
oubliés, perdus.
Plus de trente ans se sont
écoulés, la ville d’A s’est endormie aussi, sans doute que la haie qui avait
abrité un moment nos bavardages de la morsure du soleil n’existe plus.
Un souffle froid m’a surpris.
L’attendu, en ouvrant la portière, venait de me ramener dans le présent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire