Nous avions, je crois, déjà quitté
la ville d’A pour le village de F.
Quitté la petite maison,
nichée au bout de l’allée. Quittée aussi la cour pavée de briques rouges, théâtre
de mes jeux de garçonnet. Quitté le jardin partagé en deux par une allée que
pas un brin d’herbe ne venait « salir ». La fierté du père. Les rangs
de légumes bien alignés, la terre noire travaillée avec soin, si fine qu’elle s’écoulait
comme du sable entre les doigts un peu écartés. Quittés aussi ces voisins
charmants, deux petits vieux ; j’ai oublié leurs prénoms ; je me
souviens seulement qu’ils étaient « pépé » et « mémé ». Un
coup d’œil aux lapins dans les garennes, presque sentir à l’évocation de ces souvenirs
pâlis l’odeur de la paille stockée dans l’appentis.
La porte de la cuisine était toujours
ouverte, zoom sur la vieille boîte en fer emplie de Lutti posée bien en évidence
sur le buffet en formica blanc. L’impatience de mes doigts encore malhabiles à
dépapilloter le bonbon. Retrouver soudain la saveur sucrée du caramel qui fond
lentement dans la bouche. Echanger sans doute quelques mots de rien.
Curieusement,
si je peux encore voir chaque détail de la maison de nos voisins, j’ai perdu l’image
de leurs visages en chemin, il ne me reste que la douceur des minutes heureuses
passées là.
Que ce soit dans la maison d’A.
ou dans celle du village de F. il y a un détail qui me revient souvent à l’esprit.
La radio de ma mère posée dans
un coin de la cuisine.
Elle avait, elle a toujours l’habitude
d’avoir une radio allumée. Une présence discrète qui l’accompagne dans les
menus travaux qui peuplent ses journées maintenant qu’ils ne sont
plus qu’eux deux, nos vieux.
Longtemps ça a été une vieille
radio, sans doute achetée aux débuts de leur mariage.
C’était un de ces vieux
machins avec une aiguille blanche qui voyageait sur le grand « écran ».
Il y avait tout un tas de noms de villes inscrits en lettres blanches sur le
fond rouge. J’aimai à faire des voyages d’une ville à l’autre rien qu’en
tournant le bouton. Entendre des voix étrangères, sauter d’un continent à l’autre
juste en bougeant l’aiguille de quelques millimètres.
Aujourd’hui cette magie
de l’aiguille n’existe plus, remplacée par un poste moderne avec un affichage
digital. Et puis à quoi bon ? Le monde est maintenant accessible d’un seul
clic. Facile. Trop peut-être ?
1981
Je n’ai pas de souvenir très net
de ces premières années passées à F.
Il me manque des années
entières, effacées. Perdues je ne sais où. Des années passées à faire je ne
sais quoi. J’ai beau fouiller dans ma mémoire, rien ne vient. Un peu comme si
le temps s’était soudainement dissout ou arrêté.
Je ne sais pas comment ce phénomène
a pu se produire, est-ce que j’ai continué à marcher en ne pensant qu’au
prochain pas ?
Est-ce que le monde est
soudain devenu transparent ?
J’ai souvent cette curieuse
sensation d’être « à côté », là, mais pas tout à fait. Là, mais
ailleurs, en avance ou en retard d’une toute petite seconde, comme décalé.
On va arrêter là avec ces
divagations, je n’ai de toutes façons pas l’intelligence suffisamment déliée
pour pouvoir aller au bout de cette réflexion. Et puis tu n’es pas venu ici
pour ça.
1981
Sortie de l’album « Ainsi
soit-il »
Louis Chedid
Je n’en ai pas de souvenir
très net non plus, je ne l’ai jamais écouté en totalité.
Un titre seulement qui surnage
au dessus du vide. Un titre retrouvé hier soir par hasard. J’aurai aimé l’entendre
en tournant le bouton de la vieille radio. Entendre les crachotis dans le
haut-parleur jusqu’à ce que la voix, les notes surgissent enfin nettes.
« Flash-back
tu regardes en arrière
Oui
toutes les choses que t'as pas pu faire
Tu
voudrais disparaître dans l'rétroviseur
Mais
personne n'a jamais arrêté l'projecteur »
Un peu de la magie de la radio
est définitivement perdue. Dommage ? Je n’en sais rien.
Sans doute un peu.
Sans doute un peu.
A samedi prochain pour d’autres
magiciens.
Merci pour ce Magic Samedi
RépondreSupprimer(@bembelly)
Merci d'avoir passé un moment en compagnie de mon p'tit bonhomme.
Supprimer