vendredi 19 décembre 2014

Le devoir de s'indigner.

« Je ne suis pas né SDF, je le suis devenu. J’en suis sorti. »

Cela fait je ne sais combien de matins que je me réveille avec cette phrase en tête.

Je ne sais pas pourquoi j’y pense plusieurs fois par jour.

Cette phrase est d’Ervé aka @croisepattes sur Twitter.

Cela fait un moment que nous nous suivons sur ce réseau, un moment que nous « conversons », un moment aussi que je lis son blog.

Je l’aime bien le gars Ervé, un truc comme ça qui arrive on ne sait pourquoi, ce n’est pas que nous papotions pendant des heures, non, un salut par-ci, quelques mots par-là. Des vannes un peu pourries échangées. Presque comme si nous étions au comptoir du bistrot du coin.

Je l’aime bien le gars Ervé, nous ne nous rencontrerons probablement jamais mais ça n'a guère d’importance, l’essentiel est ailleurs. Il a connu la galère l’ami Croisepattes, la rue avec tout ce que cela sous entend. Je n’en sais pas beaucoup plus, pas la peine. Le peu qu’il m’a semblé saisir me suffit. Tout comme de savoir aussi que les choses semblent s’arranger. En être heureux pour lui.

Je te vois en train de te demander où je veux en venir avec mon histoire.

Attends, on y arrive.

A un moment de ma vie j’aurais pu aussi tomber dans la galère, et tu peux me croire la descente est très rapide, elle arrive sans crier gare à une vitesse vertigineuse. Tu te retournes une seconde et il presque déjà trop tard. Tu t’accroches, la moindre branche est bonne pour te rattraper, ne pas tomber tout à fait.

Moi, c’est le boulot qui m’a sauvé. Un changement inespéré, la chance de bosser pour une marque prestigieuse dans le monde du verre de collection. Sept ans de passion, sept années exceptionnelles faites de rencontres, sept années d’émerveillement quotidien devant la magie sortie des mains des maîtres vénitiens.

Depuis j’ai fait tout un tas d’autres choses, j’ai continué le chemin. Il y a encore des embûches, quelques ornières profondes desquelles il est parfois difficile de sortir.

Demain reste incertain.

Je pense à cet abime dans lequel j’ai failli tomber, je pense à ce relatif confort dans lequel je vis aujourd’hui, je pense à ceux qui n’ont pas eut ma chance. A ceux qui errent toute la journée, à ceux qui ne savent pas le matin s’ils auront la chance d’avoir un peu de chaleur pour passer une nuit de plus.

Attendre le prochain matin.

Un abri de fortune, quelques cartons, un vieil entrepôt désaffecté, une tente trimballée toute la journée qu’il faut le soir déplier dans un coin à l’abri des regards. Se laisser enfermer dans une station de métro, une gare, un hall d’immeuble.

Et lutter, lutter contre l’engourdissement, lutter contre l’envie de lâcher.

Lutter aussi contre la méchanceté, la bêtise, l’ignominie.

Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas mis dans un tel état de colère.

Je sais que ma voix est toute petite dans l’immense monde des blogs, je sais que ma colère passera presque inaperçue dans le flot continu des mots qui se publient chaque seconde.

Peu importe.

Personne ne m’enlèvera le droit de m’indigner. Le droit ? Le devoir de m’indigner.

C’est au cours d’un échange sur Twitter que j’ai eu connaissance de cet affichage.

Un simple A4.


Un simple A4 certes, mais vous savez aussi bien que moi que les mots peuvent parfois être violents. Violents et ignobles.

Relisez bien, une fois encore. Vous l’avez sentie cette violence à peine masquée. Vous les avez ressenties ces menaces à l’encontre des locataires de cet immeuble ?

Je veux bien concevoir tout ce que la présence de personnes étrangères dans un hall d’immeuble peut avoir d’inquiétant. Je comprends que les gérants de cette société puissent redouter les dégradations qui sont parfois commises, je comprends également que « certains » profitent de ces mêmes halls d’immeubles pour s’y livrer à des commerces illicites. Je comprends tout ça.

Je veux cependant croire, j’espère, qu’il s’agit d’une initiative malheureuse d’un agent qui a cru bien faire. Il n’en reste pas moins que les mots sont là et qu’ils sont d’une rare violence.

« Si vous les nourrissez ».... mais bordel on parle de quoi là ?

D’êtres humains !

De femmes, d’hommes en détresse. De personnes qui n’ont plus d’autre choix que celui de s’abriter un moment dans un hall d'immeuble.

Et on menace d’expulsion des locataires qui leur viendraient en aide en partageant un peu de leur repas. Qu’est-il passé par la tête de celui ou de celle qui a pondu cette note ? Est-ce qu’à un moment il ou elle a mesuré la portée des mots employés ?

Je ne crois pas.

Depuis, le Directeur général de Saint-Ouen Habitat Public a publié un communiqué dans lequel il présente ses « plus sincères excuses à l'ensemble des locataires du 41 rue Dhalenne qui ont pu être heurtés à juste titre par la communication pour le moins extrêmement maladroite qui a été affichée cette semaine. »

....

Rester vigilant.

2 commentaires:

  1. Indignation salutaire, merci à toi !

    Et honte, malgré les excuses, au responsable de cette "communication" (sic) de "Saint-Ouen Habitat public".

    Bientôt on enverra des "brigades canines" (eux, ils ont du Canigou à se mettre sous la dent) pour éviter ces SDF qu'il faut laisser mourir de faim !

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