vendredi 27 novembre 2015

#hommagenational

Photo : © @Petit_louis


































dimanche 22 novembre 2015

Un autre possible


Seul locataire d’un vieil immeuble coincé entre une agence de la Banque Populaire de l’Ouest et une mercerie fermée depuis des années, Yann perchait dans un deux pièces près de la gare, un quartier déshérité de Saint-Yvers à quelques encablures d’Houlgate. Un bled un peu glauque, presque mort à cette période de l’année. Le pavé toujours légèrement gras des embruns de la mer toute proche, les rues à angles droits dessinant un labyrinthe ordonné, les villas aux fenêtres aveuglées depuis la fin de la saison ajoutaient ; s’il en était besoin ; à cette impression de ville morte. Et tout ce sable, un tapis sans cesse en mouvement qui peu à peu recouvre cette petite station balnéaire fanée d’une chape sourde.

Yann aimait à errer tard le soir à la lisière des voies, regarder le va et vient des quelques rares trains. Des trains comme autant de possibilités d’évasion. Oublier le poids des journées interminables passées à côtoyer toutes les variations des turpitudes humaines.

S’oublier.

Au gré des vents capricieux il était parfois enveloppé d’odeurs d’iode mêlées à certains coins de rue à celles plus fortes de pisse, des odeurs auxquelles il s’était habitué. Lui ; l’enfant des cités qui n’avait eut comme horizon que les barres d’immeubles, que les pelouses râpées comme terrain de jeu, plus tard au temps des premières mobs que les allées de béton comme piste de course, les caves aussi où il avait connu ses premiers émois amoureux ; tournait délibérément le dos à la mer, fuyait l’immense étendue des plages à marée basse.

Quelque temps après avoir emménagé à Saint-Yvers il avait pris l’habitude chaque soir, son dîner de hasard à peine englouti, de quitter son appartement pour marcher. Des marches sans but. Presque sans but.

Juste marcher jusqu’à épuiser la fatigue.

Sa longue carcasse d’ombre errante n’inquiétait plus personne. Cela faisait plusieurs mois maintenant qu’il parcourait les rues désertes, toujours le même itinéraire. Plusieurs mois que les quelques rares personnes croisées ne s’offusquaient plus, quand trop absorbé par ses pensées, Yann négligeait de les saluer.

Invariablement ses pas le conduisaient au seuil de L’Européen. Dernier bistrot ouvert à cette heure avancée de la nuit. La taulière, une blonde sur le retour ; un peu pute aussi aux heures perdues ; l’attendait perchée sur son tabouret derrière le comptoir. La salle faite, Yann serait son dernier client avant qu’elle puisse baisser le rideau de fer.

Ils étaient tout deux arrivés à cette heure où les mots ne comptent plus. Deux solitudes dans la brume rougeâtre des néons. Il venait là par habitude chercher sa dose d’oubli.

Il réchaufferait d’abord l’ambre aux reflets rouges dans le creux de ses paumes, garderait longtemps en bouche la première gorgée, savourant les notes de tabac surlignées d’une pointe d’huile de clou de girofle. Un rituel comme un prélude amoureux avant de sentir la chaleur de la douce morsure de l’alcool dans sa gorge.

Quelques centilitres d’oubli qu’il s’accordait chaque soir.

Glendronach 1972. Son seul luxe.

Des bouteilles importées à prix d’or qu’il s’oblige à laisser là dans cette gargote de peur de céder une fois encore à ses anciens démons. De céder à l’ivresse folle qui lui avait valu trois ans plus tôt d’atterrir dans ce bourg perdu.

Putain de placard !

Sorti major de sa promo, promis à un brillant avenir aux stups à la DRPJ de Paris, il avait vu sa carrière s’écrouler un soir. Une arrestation comme tant d’autres, le tox qui résiste, la course à travers les rues. Athlétique, le muscle sec, Yann avait cependant un mal fou à rattraper l’individu. Il sentait battre son cœur dans sa gorge, l’air inspiré à grandes goulées avides lui brûlait les poumons. Penser que ce mec pourrait lui échapper le mettait dans une rage incontrôlable, animale. Jamais encore il n’avait ressenti de haine pour ceux qu’il coinçait. Seulement un jeu. Un jeu auquel il gagnait souvent.

Pourtant cette fois il perdait du terrain.

Un peu plus tôt dans l’après-midi il s’était une fois de plus embrouillé avec Steph, le ton était très vite monté. Pour des broutilles. Leurs disputes étaient de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes aussi. Ce n’était pas tant la violence physique ; il n’avait jamais levé la main sur elle ; que la gifle des mots de plus en plus durs dont il l’accablait qui l’avait fait quitter leur appartement en claquant violemment la porte. La violence verbale et la honte. La honte surtout.

Arrivé en bas de chez eux, il était resté un long moment comme hébété, il ne comprenait pas, ne se comprenait plus. Il l’avait pourtant aimée, passionnément. Depuis les gradins de la fac de droit où ils s’étaient rencontrés six ans plus tôt, ils ne s’étaient plus quittés. D’abord ils avaient partagé une piaule d’étudiant minable sous les toits, l’eau et les chiottes sur le palier. Une mansarde où ils s’étaient apprivoisés gentiment. Patiemment.

Pourtant par moment Yann sentait que Steph lui échappait. Trop belle, d’une beauté presque aristocratique.

A plusieurs années de distance il restait étonné que cette grande fille au teint mat et aux yeux presque transparents à force d’être bleus se soit intéressée à lui. Ce n’était cependant pas pour sa beauté qu’il la désirait ; parfois violemment, parfois jusqu’à la douleur ; non, c’était surtout parce que d’autres pouvaient la trouver belle et la désirer qu’il la trouvait belle. Il ne désirait que le désir qu’il avait d’elle. Il jouissait de la douleur de se refuser à elle. Un paradoxe qu’il ne parvenait pas à s’expliquer.  Il était jaloux aussi de la sentir intelligente. Jaloux de la grâce qu’elle mettait en toute chose.

Il s’était réfugié dans un troquet et s’était enquillé petit verre sur petit verre jusqu’à ce que le barman finisse par refuser de le servir. Ivre, il avait tout de même pris son quart de nuit. L’alcool était devenu son ami depuis des mois, une descente aux enfers que la fréquentation des lieux louches et de tout ce que compte la capitale de types branques ne faisait que précipiter.

Yann s’essoufflait, une vieille douleur au genou, souvenir de ses années de rugby, se réveillait. L’homme allait lui échapper. Un petit poisson qu’il finirait bien par retrouver un jour. Après tout Paris n’est qu’un petit village.

Il allait presque lâcher l’affaire quand le mec broncha dans un amas de cartons. En quelques secondes Yann fut sur lui. L’autre, pris au piège tentait de se débattre, de s’enfuir encore. Deux corps animés de fureur.

Fou d’alcool Yann frappait l’homme à terre, on entendait le son mat des coups flétrir les chairs, les souffles rauques de bête. D’un dernier coup de pied il lui fracassa la mâchoire.

Fin du match.

Grâce à ses états de service jusque là irréprochables et au coup de pouce de son mentor aux stups, Yann avait échappé à la révocation.

Direction Saint-Yvers.

Purgatoire.

Trois ans déjà.

Yann avait été surpris un soir de s’apercevoir qu’il aimait l’ambiance du rade pourri.

L’Européen, tu parles d’un blaze !

Il y avait sa place, toujours au bout du zinc ; une vieille habitude ; voir entrer les clients, un automatisme acquis à force de côtoyer les petites frappes dans sa vie d’avant, pouvoir les jauger d’un coup d’œil. Un tic inutile à Saint-Yvers.

Il appréciait ce moment de presque solitude. Il n’y avait qu’Ismaël, un vieux pochetron pour venir parfois troubler sa quiétude.

Solitude avinée pour l’un, solitude amère pour l’autre.

Il n’avait eut depuis Steph que quelques filles d’une nuit. Des jeunes femmes toujours surprises de trouver son appartement quasiment vide. Les murs blancs, vierges de toute déco. Une sorte d’ascétisme qu’il cultivait en repeignant régulièrement les parois de sa prison. Un peu comme si les couches superposées de peinture pouvaient effacer le passé.
Yann ne se souvenait jamais de leur prénoms, elles partaient juste le matin, elles s’évanouissaient dans les brumes venues du large. Tout comme peu à peu les traits de Steph s’effaçaient de sa mémoire. Oubliées aussi les fringales qu’il avait d’elle aux premiers temps de son exil.

Tout avait marché de travers aujourd’hui : des vagues histoires de querelles de voisinage, de chiens qui aboient la nuit.... Une kyrielle de pneus crevés. Sans doute des gosses du coin qui s’emmerdaient un peu.

L’ennui total !

Depuis qu’il était dans le coin, Yann ne l’avait jamais vue. Que pouvait bien foutre cette fille dans ce bled un soir d’hiver ?

Plongée dans son ordinateur, elle ne l’avait pas vu entrer. Ce n’est que lorsque son téléphone s’est mis à sonner et qu’elle s’est penchée pour attraper son sac à ses pieds que leurs regards se sont accrochés.

Un autre possible
                                                                  José Defrançois

                                                                  Saint-Hilaire-Cottes Novembre 2015

Texte initialement publié chez François Bonneau dans le cadre des Vases Communicants de novembre 2015.

Merci à Sylvie, l'aimable taulière du "Temps d'une pause" à Arques, de s'être gentiment prêtée au jeu des photos. 

lundi 16 novembre 2015

Les jours d’après








Pardon pour l’ignoble faute qui pique les yeux et les répétitions.... Aucune importance, ce matin l’essentiel était ailleurs.

samedi 14 novembre 2015

vendredi 6 novembre 2015

Vases Communicants du 06 novembre 2015

Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir d’accueillir François Bonneau pour ces Vases Communicants de novembre.

Merci à toi François d’avoir eu la patience de me guider dans cette première expérience et merci également d’avoir accepté de m’accueillir sur ton blog L’irrégulier.

La liste des autres vases communicants désormais orchestrée par Marie-Noëlle Bertrand est à cette adresse : Le rendez-vous des Vases Communicants





Il n’est resté que le jasmin

Il n’est resté que le jasmin dans son sillage qu’était joli, et j’en ai repris une bouffée.

C’était avant que je comprenne, mais on ne comprend pas grand’ chose, aux tables en marbre du troquet bleu. Alors j’explique ; pardon j’hoquète.

Il n’est resté que le jasmin, et malgré deux-trois beaujolpifs, je m’en mettais plein les narines, de ce sillage doux de donzelle qui a couru dehors, très vite.

Pardon ! Ah, non, j’y suis pour rien, les gars, promis, pas parlé, pas touché non plus, c’est pas mon genre, je peux cracher.

Elle est partie j’y suis pour rien, elle, et le jasmin tout derrière, et puis son téléphone criant qui lui beuglait dedans l’oreille, ça avait l’air plutôt sévère pour qu’elle se lève, comme ça, d’un bond. Et qu’elle en oublie son bureau. Parce que l’ordinateur qui reste, sur la table en faux marbre, ici, ça m’avait l’air d’être un burlingue qu’elle trimbalait un peu partout. Enfin, beaucoup moins maintenant : je l’ai ici entre les mains. Promis les gars, j’ai rien sali.

J’ai commandé une tournée, et puis appuyé sur entrée, et attendu qu’elle se repointe, mais là, le bistrot va fermer, j’ai pas voulu me faire intrus mais je voulais savoir à qui on doit le jasmin qu’est parti, peut-être qu’elle devait opérer, chercher un môme chez la nounou, ou menotter du délinquant, exécuter une sonate, un ordre ou peut-être un amant. C’est le Patron, tant pis, qui garde et son ardoise pour le café et l’ordinateur oublié.

J’avais besoin de me confier, les gars, j’ai été moins que rien : au démineur, au solitaire, j’ai effacé tous ses records en y apposant …oui, les miens. Et je m’en veux, j’ai bien trop honte, offrez-moi la miséricorde.

Et une tournée d’absolution.

François Bonneau, novembre 2015