Les rideaux sont tirés, la
pénombre habite depuis longtemps cette maison isolée en haut du village,
oubliée.
Seules quelques flammes
fatiguées et le halo timide de la lampe éclairent la vieille joue couverte de
crin blanc que le fil du rasoir n’a pas caressé depuis l’autre dimanche. Les
lentes volutes d’une cigarette posée s’accrochent aux fils tissés patiemment
par l’araignée domestique.
L’homme est assis, immobile.
Sur ses genoux une vieille
boite en carton aux couleurs passées, usées par le temps. Vingt ans que la
boite n’avait pas été ouverte, il l’avait rangée ce matin là, ce même matin il
avait arrêté le balancier de la pendule qui avait rythmé leurs heures communes.
Ils n’étaient pas nombreux
ceux qui l’avaient accompagnée dans ce dernier voyage, le prêtre, quelques
voisins aussi. Pas d’enfant, pas de parent non plus. Au retour, l’homme
avait regardé longtemps la table de travail sur laquelle elle restait penchée
pendant de longues heures ; il la voyait encore, attentive à pousser
doucement l’aiguille, la tête un peu penchée sur l’ouvrage. Il entendait encore
le bruissement ténu des ciseaux fendant la toile, il voyait encore les doigts
graciles que l’âge avait rendus fragiles assembler les tissus précieux qui
habilleraient les jeunes femmes quand elles iraient au bras du père
s’agenouiller devant l’autel. Parfois, pas souvent, pour s’amuser un peu, elle
sortait ses écheveaux de fils de coton de couleur et elle brodait les initiales
des promis sur des torchons de toile rude.
L’homme, ce matin de Noël 1992,
avait balayé la table d’un grand coup du plat de la main, il savait bien que la
colère ne servait à rien et pourtant il n’avait pas réussi à retenir la
violence de son geste. Puis il avait ramassé et rangé une à une dans le tiroir
de la commode toutes ces choses qui lui rappelaient les heures passées.
Maintenant il savait qu’elle ne viendrait plus doucement se pencher sur le haut
dossier du fauteuil dans lequel il était accoutumé de lire, il savait qu’elle
ne lui retirerait plus le livre tombé des mains pour le poser sur la table
basse pendant qu’il dormait.
Il savait qu’il était seul.
Il avait continué pourtant de
vivre lentement, n’ayant pour toute compagnie que le vieux greffier. Il avait
occupé sa solitude à parcourir le monde en compagnie de ses auteurs préférés.
Cette boite de fils, il
l’avait laissée au fond du tiroir de la commode pendant toutes ces années.
Jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à ce matin de cet autre Noël. Il avait voulu revoir
une fois encore les couleurs des cotons. Il voulait saisir une dernière fois
les images presque effacées des heures précieuses.
Il voulait revoir les couleurs
oubliées avant de fermer les yeux une dernière fois.
L’homme est assis, immobile.
Une larme s’est arrêtée au
bord des crevasses creusées par le temps sur le vieux visage qu’un dernier
sourire habille. De la main que le froid gagne petit à petit, s’échappent les
fils de la mémoire.
Très beau et très mélancolique !
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerBeau billet !
RépondreSupprimerMerci Nicolas.
SupprimerTrès beau billet
RépondreSupprimerMerci, c'est gentil.
SupprimerMais je viens de le relire et je n'y retrouve plus l'émotion qu'il m'avait semblé y mettre. Beaucoup de phrases sont maladroites, inutiles. Si je devais n'en garder qu'une, ce serait la dernière.
C'est un truc que je connais bien. Mettre des tripes pour faire un billet penser le réussir et être déçu le lendemain ou le surlendemain.
SupprimerIl ne reste plus qu'une solution : croire les copains qui te disent que le billet est bien.
Tu as sans doute raison, je ne vais pas m'en faire plus qu'il n'est raisonnable.
SupprimerOuais, balèze. C'est beau.
RépondreSupprimerMerci.
Supprimerpas mieux, vraiment joli texte...
RépondreSupprimerMerci, c'est vraiment très gentil.
SupprimerMerci de cette réédition ...
RépondreSupprimerÉmouvant texte
Merci, cela me fait plaisir que tu aies laissé une trace de ton passage ici.
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