mercredi 24 décembre 2014

Un autre décembre.



J’étais certain de l’avoir vu enjamber la barrière d’une maison au bout de la rue. Malgré la lumière chiche des lampadaires je ne pouvais pas me tromper, j’étais certain de l’avoir vu.

Qui d’autre ? J’ai couru, remonté la ruelle depuis la plage.

Personne.

Des vieux volets de la villa sortent seulement quelques raies de lumière pâle, presque incertaine dans le brouillard.

J’avais la gorge brûlée par le froid et la course, les yeux emplis de larmes.

Le froid peut-être ?

J’ai fouillé mes poches, sorti une cigarette du paquet chiffonné, cherché dans les plis du manteau un abri pour la flamme. Le vent comme des lames de rasoir, un vent d’odeurs aussi.

Je me suis posé un moment sur un petit muret face à la maison où j’avais cru l’apercevoir. Allumé une autre cigarette. Je sentais le froid du béton m’envahir peu à peu.

J’ai pensé à eux, réunis autour de la table familiale, à leurs rires, à leurs voix mêlées. Souvent des mots de peu, le ciment des familles. Une fois de plus j’avais refusé de partager la douceur d’être réunis.

J’avais un autre rendez-vous.

Une idée fixe. Aller voir ma mer le soir de Noël.

Arpenter la longue plage déserte, des aller-retours sans autre but que celui d’épuiser la peine, parcourir aussi les rues peu à peu envahies par le sable, des rues dépeuplées par les vents rudes de l’hiver.

Un labyrinthe fait d’angles droits. Un labyrinthe vide où se perdre.

Au bout d'un long temps je me suis levé du muret trop froid. Donné un dernier regard aux volets clos et suis retourné vers la plage, descendu la volée de marches, repris mon voyage sur le sable lourd. Un voyage au bout de l’inutile.

A quoi bon toujours se retourner ?

A quoi bon chercher à m’épuiser. A quoi bon chercher à me punir ? Seulement penser à tenir la promesse faite de continuer le chemin. Ne pas lâcher.

Dans l’immense solitude, marcher au bord de l’eau, écouter et sentir. Reculer peu à peu devant le flot. Si ce n’était l’obscurité pouvoir me retourner et contempler mes pas qui s’impriment en diagonale dans le sable. Des traces qui s’effacent peu à peu, devenir une fois de plus invisible.

La vie ignore les lignes droites, c’est comme ça, il n’y a pas grand-chose à y faire.

Une vie comme une pelote de laine que l’on déroule petit à petit.

Approcher du prochain virage, ne pas savoir ce que l’on va découvrir au détour du chemin. Espérer que la pente ne sera pas trop rude, qu’il n’y aura pas trop de pierres qui roulent sous les pas et puis découvrir que le sentier est tortueux, semé d’ornières. Des ornières quelquefois profondes, de ces ornières dont on ressort grandi, plus fort. En apparence seulement. Des ornières qui peuvent aussi laisser des traces. Des blessures qui même si elles cicatrisent ne s’oublient pas. Les mauvais jours, tout le mal revient à la surface, les yeux se voilent, l’oreille devient sourde à l’extérieur. La carapace si dure en apparence se couvre de fissures, des fissures infimes en surface, en réalité des falaises dont il ne vaut mieux pas s’approcher. Le vent y souffle en tempête en permanence, les vagues d’une mer hargneuse travaillent chaque jour à détruire la roche, lentement, surement. L’équilibre est là, d’un côté la force des éléments, de l’autre un homme qui lutte pour ne pas tomber.

Marcher encore, ne plus savoir le temps, attendre l’aube. Attendre un autre matin, reprendre le cours d’une vie interrompue. Refermer la parenthèse de dix années de solitude.


Un autre décembre.

Posée là dans un coin de la terrasse, une petite chaise verte. Avec son air de rien, tu ne soupçonnes pas toute l’importance qu’elle peut avoir.

Elle aussi a une longue histoire. Elle n’aurait jamais du arriver jusqu’ici. Elle a passé de longues années dans une église dans un village de Flandres. Elle a connu des joies, des peines. Entendu souvent les petites prières de ceux qui sont venus chercher dans Sa maison un peu de réconfort.

La fée qui m’accompagne désormais lui a redonné vie. Patiemment, elle l’a débarrassée de la rouille qui la rongeait. Pour ne pas trop effacer les histoires gravées en elle, ses lattes de bois ont été poncées doucement, avec tendresse presque. Une couche de peinture vert tendre emprisonne ses souvenirs.

Je vais souvent m’y poser. Ce n’est pas tant qu’on y soit confortablement installé que le signe que la vie a repris son cours un moment interrompu. Peu importe qu’il fasse soleil, pluie ou vent, je savoure la douceur des minutes paresseuses. J’écoute le temps s’écouler doucement.

Je me retourne moins souvent sur tout le mal.

Je repense aujourd’hui à mes anciens rendez-vous avec la mer le soir de Noël, je repense à ma longue attente, à la morsure du froid et de l’humidité. Je repense à cette ombre aperçue il y a quelques années.

Je savais bien ce qu’il en était.

Juste un homme, en habits de Père-Noël.

Moi aussi, à cette époque, je faisais semblant.

10 commentaires:

  1. Je comprends maintenant...
    Merci pour ce beau partage et joyeux Noël !

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    1. Un tout petit mystère et une histoire bien banale.
      Passe un beau Noël.

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    1. Merci Claudine, je vous souhaite de passer une belle journée de Noël.

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  3. Il y a comme une sorte de mélancolie "durassienne" dans ce beau texte avec le retour près des vagues et de la plage... (Marguerite Duras a habité aux "Roches noires" à Trouville-sur-Mer).

    Beau janvier !

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    1. Mélancolie, oui. Mais pas de nostalgie pour une fois. Ce furent des années sombres, comme une longue absence.
      Il est fort probable que j'aille voir ma mer dans les prochains jours, je ne l'aime qu'hors saison. J'irai marcher au bord de l'eau, lentement.
      Sur le sable quatre empreintes de pas, sur mon bras le poids léger de la main d'une fée.

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  4. Je n'ai pas d'autres mots : très beau billet !

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  5. merci de cette douce histoire au bord des vagues. "J’écoute le temps s’écouler doucement.

    Je me retourne moins souvent sur tout le mal." Je suis sensible à ces deux phrases. Elles amènent une certaine rondeur et douceur à la vie. Bon Noël et bonne année à vous.

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    1. Merci d'avoir passé un moment en compagnie du petit bonhomme.
      Une certaine douceur oui. Et pourtant je voudrai qu'il n'y ait pas de passé....ou peut-être pouvoir tourner bien vite quelques pages.

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