Il facebooke, il twitte, il
instagramme, il blogue, bashe sur le Huffington, intervient sur les ondes....
et tant d’autres choses encore. Une vie pleine, des avenues que vingt-quatre
heures ne suffisent pas à parcourir. Les feux toujours à l’orange clignotant,
des avenues parcourues à cent à l’heure.
Je facebooke, je twitte,
j’instagramme, je blogue (un peu), je bosse (souvent trop), j’ingurgite à
longueur de journée de l’info à la chaine, pas le temps de digérer, un sujet
chasse l’autre. Je saute d’un continent à l’autre d’un simple mouvement de
souris. Une rage de savoirs m’habite, la cinquantaine approchant, le temps
presse. Un scan permanent. Le bouillonnement continu d’une eau vive qui m’abreuve. Et
puis la violence des images reçues, le sifflement des mots qui cinglent. Cent
quarante signes. Des vérités assénées de toute la hauteur de celui qui croit
détenir le Graal du savoir. Je n’ai pas toujours été tendre non plus. Sans
pitié, je bloque, je signale. En pure perte.
Je sais.
Pour un compte supprimé
combien se créent à la même seconde répandant toujours la même haine ?
Encore rechercher l’info
ultime, le scoop. Vivre l’inutilité de l’instantanéité.
Quelques similitudes dans la
vie de deux hommes qui se croisent au hasard des clics, sans se connaître
pourtant. Les mêmes, ou presque, baffes que l’on se prend de plein fouet. Deux
histoires différentes et si semblables cependant.
L’un est un personnage public,
exposé. L’autre, moi, un anonyme.
Et puis il y a eu ce tweet de
Guy le 21 mars 2014 :
Un curieux message.
Je reviendrai quand vous irez tous mieux. http://t.co/Og6RHSq3ap
— guy birenbaum (@guybirenbaum) 21 Mars 2014
Laconique.
Je n’ai pas saisi tout de
suite.
Et puis l’absence. Les volets
de l’épicerie clôts.
Disparues les photos de plage,
disparus les phares. Plus de belles carrosseries anciennes capturées au détour
d’une rue.
Il m’a manqué pendant tout ce
temps là l’ami Guy. Je ne savais pas.
A relire ce qui précède je
sens bien que cela peut paraître curieux de dire de quelqu’un dont on ne
connait que l’activité numérique (et quelques autres travaux) qu’il puisse être
un ami. Disons que nous sommes des « presque voisins » qui se
croisent sur le palier.
Je n’ai pas saisi tout de
suite le sens de son dernier message. J’étais alors trop occupé à lutter contre
ce qui était en train de s’installer, petit à petit. Un goutte à goutte qui
instille doucement le mal.
Six heures, l’agression du
réveil, essayer de secouer les tempêtes de la nuit.
Des nuits dont je ressors épuisé,
trempé de sueur, tremblant de tous mes muscles. Les petites heures passées
dehors, dans le froid de l’hiver, les cigarettes fumées l’une après l’autre.
Mes premières béquilles.
Les gestes du quotidien de
plus en plus difficiles à accomplir. Le trajet jusqu’à la salle de bain ;
quelques mètres ; parcourus comme on parcourt les derniers mètres d’un
marathon.
Épuisants.
Et la lassitude. Le sentiment
d’inutilité de tous ces petits gestes. L’eau qui coule, longuement n’apporte
plus aucun réconfort. Laisser le voile de l’eau recouvrir le visage. Essayer
d’estomper l’instant, de reculer encore le temps de partir affronter
l’extérieur.
M’enfermer dans le cocon de la
voiture, appuyer sur le bouton « on » de la radio, toujours la même
litanie : les guerres à l’autre bout du monde ; si proches
pourtant ; l’horreur de ces fous de dieu qui décapitent à tour de bras au
nom de je ne sais quel idéal. Juste des voix, posées, qui relatent, la distance
qui protège de la folie. Un monde en déliquescence. Un monde que je ne
comprends plus. Un monde qui m’abime presque autant que le poids des ans qui
commencent à peser sur mes frêles épaules. Continuer pourtant à écouter,
toujours cette rage de savoir, quoi qu’il puisse m’en coûter.
Pousser la porte de ce bistrot
qui a longtemps été un refuge, une bulle en dehors du temps, un sas avant
d’aller affronter la réalité d’un travail qui depuis longtemps ne m’apporte
plus rien. Les voix amies se perdent, assourdies par le brouillard qui
m’entoure. Je ne suis plus qu’une ombre. Faire semblant une fois de plus,
esquisser un sourire, écouter les mots de rien échangés, là, au bout du
comptoir. Répondre parfois. Mes camarades de comptoir sont loin, ou est-ce moi
qui ai déjà passé la frontière ?
Je regarde le temps s’écouler,
inexorable.
Je fixe les aiguilles.
Hypnotisé j’attends l’heure
fatidique. Il faut y aller cependant. La douleur s’intensifie. Sourde au début,
je la sens grandir, m’envahir peu à peu. Le combat me semble tellement inégal.
Je ne sais pas encore qu’on ne peut pas lutter contre soi. Longtemps j’ai pensé
que je pouvais être plus fort que la douleur, que par la seule force de la
volonté je pouvais lutter. Le temps de quelques instants de lucidité je
commence à entrevoir qu’il n’y a plus qu’une seule porte de sortie.
Je recule encore.
Quelques mètres encore à
parcourir, passer la porte, endosser l’armure de cet autre.
Une façade.
La peur au fond des tripes de
ne pas être celui que l’on attend que je sois, je lance quelques bonjours.
Faire comme si, une journée de
plus. Essayer de lutter contre les crises de panique folles qui me paralysent
de plus en plus souvent. Au fil des jours je contrôle de moins en moins. La
chute est proche. Je sens la proximité du bord de la falaise. Le vide m’attire
et pourtant, funambule, je bats des bras pour me maintenir au bord du
précipice.
Continuer, épuiser des heures
inutiles.
Et puis il y a ces amis de
façade, toujours prompts à guetter la moindre faille, à titiller la moindre
blessure. Des coups dans la gueule, un combat sans fin.
Sans fin. Sauf peut-être a
essayer d’être une fois encore le plus fort.
A peine perdue....
Cacher tout cela.
Des jours passés à dissimuler
la douleur, à faire « comme si ».
Faire « comme si ».
Longtemps j’ai su faire « comme
si ».
Jusqu'à ce lundi matin là.
La chute.
Des semaines plus tard,
continuer d’essayer de me relever. Passer à d’autres choses. Ou plutôt essayer
de revenir à l’essentiel. Ne pas oublier qu’il y a des vrais gens. Ne pas oublier
ceux qui m’ont entouré quand j’allai mal. Ne pas oublier ceux qui m’ont porté à
bout de bras pendant des jours et des nuits.
Il facebooke encore, il twitte
toujours (un peu), il instagramme les plages, aussi le regard limpide de son compagnon
à quatre pattes.
Il va mieux. Je crois.
Je facebooke encore, je twitte
encore un peu. Mon regard ne recherche plus la photo « ultime », ces
quelques instants saisis au vol parce qu’à un moment il y a eut un petit
frisson de bonheur que je veux fixer, comme si la mémoire ne suffisait plus....
Je vais mieux. Je crois. Enfin
pas tout à fait encore.
Il me reste encore un long
chemin à parcourir. Trouver les pourquoi des regrets, des peurs. Essayer de
retisser fil à fil les années perdues. Des béances immenses dans ces presque
cinquante ans de vie.
Je me rends bien compte de
tout ce que ces lignes peuvent avoir d’impudiques. Peu importe. Disons que cela
fait partie du « processus » de guérison. Si toutefois il est
possible de guérir....
« Vous m’avez manqué »
Ce pourrait être le titre de
ce billet si Guy Birenbaum ne l’avait pas déjà utilisé pour son livre.
Je ne vais pas vous faire l’injure d’en refaire le « pitch », d’autres
plus habiles l’ont déjà fait avant moi. Résumer l’ouvrage de Guy aux addictions
numériques serait réducteur, il y a tant d’autres choses à y lire, à y apprendre.
Un livre comme une bouée de
sauvetage, un livre comme une ode aux proches, aux amis, des pages magnifiques, l’histoire
d’une famille dans la tourmente des années noires. Un livre sur le passé, un
livre sur le futur aussi.
Un futur à construire malgré
tout. Surtout malgré tout.
J’ai trébuché, plusieurs fois,
je me suis écorché le corps et l’esprit. J’avais presque oublié qu’il est
toujours possible de se relever.
« Vous m’avez manqué »
Un livre à lire pour comprendre, important...
RépondreSupprimerImportant oui, important pour ceux qui comme moi ont sombré à un moment. Important parce qu'il dit que l'on peut se relever. Important aussi parce que cet ouvrage est accessible, parce qu'il nous parle à nous, les "dingos" d'infos, à nous les blogueurs, les femmes et les hommes aux histoires familiales "compliquées". Il parle à tous enfin, à nous tous, qui bien souvent oublions les petits bonheurs.
SupprimerJe lis tout et je commente peu. Je lis surtout en retard. Sois assuré de mon amitié et tout ca.
RépondreSupprimerMerci Nicolas. Je sais, c'est peu de chose qu'un merci. Et pourtant, parfois il suffit de peu pour sentir l'amitié.
SupprimerUn livre prenant, tout comme ce billet !
RépondreSupprimer"Avalé" d'une traite le jour de sa parution. Me suis d'ailleurs fait enguirlandé par ma fée ce soir là...mais ça, c'est une autre histoire.
SupprimerJ'ai été happé par le récit de Guy et aussi intrigué par le nombre de similitudes de nos parcours pendant cette période "pénible".
Je sais, nous sommes des milliers à souffrir, la plupart n'ont cependant pas la "chance" de trouver le bon médecin, celui qui saura détecter ce qui cloche. Le chemin qui m’emmènera vers la guérison est encore long, il reste tant de travail à accomplir pour démêler tous ces "moi" qui sans cesse se bagarrent. Je n'en verrai peut-être jamais le bout....peu importe, j'aurai au moins essayé de savoir qui je suis.
Toi qui te bagarre, justement, tu sais...
SupprimerMais il est revenu sur Twitter, Guy Birenbaum (je n'écoutais que rarement ses chroniques radio)... donc on peut guérir - et je te croise parfois sur ce "réseau social" (ou parfois asocial), donc...
RépondreSupprimerAmitiés.
Dominique
Il est revenu oui, après une longue absence. Il est revenu "autrement". Tout comme je suis un peu "autre" depuis cette chute.
SupprimerLes réseaux ne sont pas seuls en cause, pour lui comme pour moi (même si son histoire est plus douloureuse), les racines de ce mal sont à chercher ailleurs. Un travail qui me prendra sans doute des années, un travail que je n'aurais pas pu commencer seul. Chacun d'entre vous, par votre amitié y participe.
Je me suis souvent trompé sur les hommes, j'ai pris des claques énormes parfois.
Ne dit-on pas que l'on apprend de ses "erreurs" ? J'essaie en tous cas.