[Un titre de billet comme un
appeau à trolls....]
Mercredi dernier ou était-ce
jeudi ? Je ne sais plus.
J’ai le souvenir du matin tiède
malgré la saison bien avancée, de l’air immobile. Levé plus tôt qu’à l’accoutumé
j’ai paressé longuement, attendu patiemment aussi que les premières lueurs percent
la barrière des grands arbres.
Plus tard, j’ai senti la morsure
aiguë du soleil. J’ai écouté la terre bruire, gavée de lumière, baignant dans
une chaleur estivale implacable ; de tiède qu’il était quelques heures
auparavant, l’air était devenu gras, presque palpable. Enveloppé par la
touffeur moite, j’ai parcouru les quelques mètres qui me séparaient de l’ombre chiche.
Et me sont revenus à l’esprit
ces textes lus il y a si longtemps maintenant. Celui de Giono d’abord et son
Hussard sur le toit, ensuite Camus avec L’étranger.
« Le
soleil était haut ; il faisait très chaud mais il n’y avait pas de lumière
violente. Elle était très blanche et tellement écrasée qu’elle semblait beurrer
la terre avec un air épais. Depuis longtemps déjà Angelo montait à travers la
forêt de chênes. Il suivait une petite route couverte d’une épaisse couche de
poussière où chaque pas du cheval soulevait une fumée qui ne retombait pas. A
travers le sous-bois râpeux et desséché il pouvait voir à chaque détour que les
traces de son passage ne s’effaçaient pas dans les méandres de la route en
dessous. Les arbres n’apportaient aucune fraîcheur. La petite feuille dure des
chênes réfléchissait au contraire la chaleur et la lumière. L’ombre de la forêt
éblouissait et étouffait. »
...
« Alors,
dans le ciel de craie s’ouvrait une sorte de gouffre d’une phosphorescence
inouïe d’où soufflait une haleine de four et de fièvre, visqueuse, dont on
voyait trembler le gluant et le gras. Les arbres énormes disparaissaient dans
cet éblouissement ; de grands quartiers de forêts engloutis dans la
lumière n’apparaissaient plus que comme de vagues feuillage de cendre, sans contours,
vagues formes presque transparentes et que la chaleur recouvrait brusquement d’un
lent remous de viscosités luisantes. »
Jean Giono,
Le hussard sur le toit, Folio, p. 13
& 14.
« C’était
le même éclatement rouge. Sur le sable, la mer haletait de toute la respiration
rapide et étouffée de ses petites vagues. Je marchais lentement vers les
rochers et je sentais mon front se gonfler sous le soleil. Toute cete chaleur s’appuyait
sur moi et s’opposait à mon avance. Et chaque fois que je sentais son grand
souffle chaud sur mon visage, je serrais les dents, je fermais les poings dans
les poches de mon pantalon, je me tendais tout entier pour triompher du soleil
et de cette ivresse opaque qu’il me déversait. A chaque épée de lumière jaillie
du sable, d’un coquillage blanchi ou d’un débris de verre, mes mâchoires se
crispaient. J’ai marché longtemps.
Je
voyais de loin la petite masse sombre du rocher entourée d’un halo aveuglant
par la lumière et la poussière de mer. Je pensais à la source fraîche derrière
le rocher. J’avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le
soleil, l’effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l’ombre et
son repos. Mais quand j’ai été plus près, j’ai vu que le type de Raymond était
revenu.
Il
était seul. Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les
ombres du rocher, tout le corps au soleil. Son bleu de chauffe fumait dans la
chaleur. J’ai été un peu surpris. Pour moi, c’était une histoire finie et j’étais
venu là sans y penser.
Dès qu’il
m’a vu, il s’est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi,
naturellement, j’ai serré le revolver de Raymond dans mon veston. Alors de
nouveau, il s’est laissé aller en arrière, mais sans retirer la main de sa
poche. J’étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres. Je devinais son
regard par instants, entre ses paupières mi-closes. Mais le plus souvent, son
image dansait devant mes yeux, dans l’air enflammé. Le bruit des vagues était
encore plus paresseux, plus étale qu’à midi. C’était le même soleil, la même
lumière sur le même sable qui se prolongeait ici. Il y avait déjà deux heures
que la journée n’avançait plus, deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dans un
océan de métal bouillant. A l’horizon, un petit vapeur est passé et j’en ai
deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n’avais pas cessé de
regarder l’Arabe.
J’ai
pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une
plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers
la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être
à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La
brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser
dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman
et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient
ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus
supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que
je ne me débarrasserai pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait
un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré
son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier
et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même
instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières
et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière
ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil
sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau
toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes
yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle
épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour
laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le
revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est
là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant que tout a commencé. J’ai
secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du
jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai
tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il
y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du
malheur. »
Albert
Camus, L’étranger, Folio, p. 91, 92 & 93
Aussi
bien, si ça n’avait pas déjà été pris, j’aurai pu titrer «Plein soleil »
Super texte de Camus, super morceau de The Cure.
RépondreSupprimerSi je me suis fait très plaisir en relisant les deux ouvrages, Giono n'en a pas moins ma préférence. Si ce n'était ce thème du soleil je vous aurais bien donné ce magnifique passage du grenier. Une autre fois peut-être.
SupprimerJ'aime plus Camus et (un peu moins) Giono que the cure, mais je te laisse les platines ;) c'est toi le boss
RépondreSupprimerPeut-être que je vais songer à vous donner cette scène du grenier qui m'est chère, reste à trouver les notes qui pourraient donner, si tant est qu'ils en aient besoin, plus de force aux mots de Giono. Est-ce que l'alchimie mystérieuse fonctionnera ? Je n'en sais rien ! J'y pense et rien, pour l'instant, ne vient.
SupprimerDemain, peut-être....