Initialement publié chez François Bonneau dans le cadre des Vases Communicants de novembre 2015
ce texte était le galop d’essai d’un projet plus ambitieux ; une nouvelle,
un roman peut-être. Une façon de tester le personnage principal, quelques
atmosphères aussi.
Et puis j’ai « oublié ».
Depuis quelques jours ça me gratouille à
nouveau l’envie de me mettre au boulot mais j’hésite encore.
Pourquoi passer autant de temps à m’échiner sur
le clavier ?
Sans aucun doute à peine perdue.
Photo : Brigitte Célérier, janvier 2017 |
Seul locataire d’un vieil immeuble coincé entre une agence de la Banque Populaire de l’Ouest et une mercerie fermée depuis des années, Yann perchait dans un deux pièces près de la gare, un quartier déshérité de Saint-Yvers à quelques encablures d’Houlgate. Un bled un peu glauque, presque mort à cette période de l’année. Le pavé toujours légèrement gras des embruns de la mer toute proche, les rues à angles droits dessinant un labyrinthe ordonné, les villas aux fenêtres aveuglées depuis la fin de la saison ajoutaient ; s’il en était besoin ; à cette impression de ville morte. Et tout ce sable, un tapis sans cesse en mouvement qui peu à peu recouvre cette petite station balnéaire fanée d’une chape sourde.
Yann
aimait à errer tard le soir à la lisière des voies, regarder le va et vient des
quelques rares trains. Des trains comme autant de possibilités d’évasion.
Oublier le poids des journées interminables passées à côtoyer toutes les
variations des turpitudes humaines.
S’oublier.
Au
gré des vents capricieux il était parfois enveloppé d’odeurs d’iode mêlées à
certains coins de rue à celles plus fortes de pisse, des odeurs auxquelles il
s’était habitué. Lui ; l’enfant des cités qui n’avait eu comme horizon que
les barres d’immeubles, que les pelouses râpées comme terrain de jeu, plus tard au temps des premières
mobs que les allées de béton comme piste de course, les caves aussi où il avait
connu ses premiers émois amoureux ; tournait délibérément le dos à la mer,
fuyait l’immense étendue des plages à marée basse.
Quelque
temps après avoir emménagé à Saint-Yvers il avait pris l’habitude chaque soir,
son dîner de hasard à peine englouti, de quitter son appartement pour marcher.
Des marches sans but. Presque sans but.
Juste
marcher jusqu’à épuiser la fatigue.
Sa
longue carcasse d’ombre errante n’inquiétait plus personne. Cela faisait
plusieurs mois maintenant qu’il parcourait les rues désertes, toujours le même
itinéraire. Plusieurs mois que les quelques rares personnes croisées ne
s’offusquaient plus, quand trop absorbé par ses pensées, Yann négligeait de les
saluer.
Invariablement
ses pas le conduisaient au seuil de L’Européen. Dernier bistrot ouvert à cette
heure avancée de la nuit. La taulière, une blonde sur le retour ; un peu
pute aussi aux heures perdues ; l’attendait perchée sur son tabouret
derrière le comptoir. La salle faite, Yann serait son dernier client avant
qu’elle puisse baisser le rideau de fer.
Ils
étaient tous deux arrivés à cette heure où les mots ne comptent plus. Deux
solitudes dans la brume rougeâtre des néons. Il venait là par habitude chercher
sa dose d’oubli.
Il
réchaufferait d’abord l’ambre aux reflets rouges dans le creux de ses paumes,
garderait longtemps en bouche la première gorgée, savourant les notes de tabac
surlignées d’une pointe d’huile de clou de girofle. Un rituel comme un prélude
amoureux avant de sentir la chaleur de la douce morsure de l’alcool dans sa
gorge.
Quelques
centilitres d’oubli qu’il s’accordait chaque soir.
Glendronach
1972. Son seul luxe.
Des
bouteilles importées à prix d’or qu’il s’oblige à laisser là dans cette gargote
de peur de céder une fois encore à ses anciens démons. De céder à l’ivresse
folle qui lui avait valu trois ans plus tôt d’atterrir dans ce bourg perdu.
Putain
de placard !
Sorti
major de sa promo, promis à un brillant avenir aux stups à la DRPJ de Paris, il
avait vu sa carrière s’écrouler un soir. Une arrestation comme tant d’autres,
le tox qui résiste, la course à travers les rues. Athlétique, le muscle sec,
Yann avait cependant un mal fou à rattraper l’individu. Il sentait battre son
cœur dans sa gorge, l’air inspiré à grandes goulées avides
lui brûlait les poumons. Penser que ce mec pourrait lui échapper le
mettait dans une rage incontrôlable, animale. Jamais encore il n’avait
ressenti de haine pour ceux qu’il coinçait. Seulement un jeu. Un jeu auquel il
gagnait souvent.
Pourtant
cette fois il perdait du terrain.
Un
peu plus tôt dans l’après-midi il s’était une fois de plus embrouillé avec
Steph, le ton était très vite monté. Pour des broutilles. Leurs disputes
étaient de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes aussi. Ce n’était
pas tant la violence physique ; il n’avait jamais levé la main sur
elle ; que la gifle des mots de plus en plus durs dont il l’accablait qui
l’avait fait quitter leur appartement en claquant violemment la porte. La
violence verbale et la honte. La honte surtout.
Arrivé
en bas de chez eux, il était resté un long moment comme hébété, il ne
comprenait pas, ne se comprenait plus. Il l’avait pourtant aimée,
passionnément. Depuis les gradins de la fac de droit où ils s’étaient
rencontrés six ans plus tôt, ils ne s’étaient plus quittés. D’abord ils avaient
partagé une piaule d’étudiant minable sous les toits, l’eau et les chiottes sur
le palier. Une mansarde où ils s’étaient apprivoisés gentiment. Patiemment.
Pourtant
par moment Yann sentait que Steph lui échappait. Trop belle, d’une beauté
presque aristocratique.
A
plusieurs années de distance il restait étonné que cette grande fille au teint
mat et aux yeux presque transparents à force d’être bleus se soit intéressée à
lui. Ce n’était cependant pas pour sa beauté qu’il la désirait ; parfois
violemment, parfois jusqu’à la douleur ; non, c’était surtout parce que
d’autres pouvaient la trouver belle et la désirer qu’il la trouvait belle. Il
ne désirait que le désir qu’il avait d’elle. Il jouissait de la douleur de se
refuser à elle. Un paradoxe qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. Il
était jaloux aussi de la sentir intelligente. Jaloux de la grâce qu’elle
mettait en toute chose.
Il
s’était réfugié dans un troquet et s’était enquillé petit verre sur petit verre
jusqu’à ce que le barman finisse par refuser de le servir. Ivre, il avait tout
de même pris son quart de nuit. L’alcool était devenu son ami depuis des mois,
une descente aux enfers que la fréquentation des lieux louches et de tout ce
que compte la capitale de types branques ne faisait que précipiter.
Yann
s’essoufflait, une vieille douleur au genou, souvenir de ses années de rugby,
se réveillait. L’homme allait lui échapper. Un petit poisson qu’il finirait
bien par retrouver un jour. Après tout Paris n’est qu’un petit village.
Il
allait presque lâcher l’affaire quand le mec broncha dans un amas de cartons.
En quelques secondes Yann fut sur lui. L’autre, pris au piège tentait de se
débattre, de s’enfuir encore. Deux corps animés de fureur.
Fou
d’alcool Yann frappait l’homme à terre, on entendait le son mat des coups
flétrir les chairs, les souffles rauques de bête. D’un dernier coup de pied il
lui fracassa la mâchoire.
Fin
du match.
Grâce
à ses états de service jusque-là irréprochables et au coup de pouce de son
mentor aux stups, Yann avait échappé à la révocation.
Direction
Saint-Yvers.
Purgatoire.
Trois
ans déjà.
Yann
avait été surpris un soir de s’apercevoir qu’il aimait l’ambiance du rade
pourri.
L’Européen,
tu parles d’un blaze !
Il
y avait sa place, toujours au bout du zinc ; une vieille habitude ;
voir entrer les clients, un automatisme acquis à force de côtoyer les petites
frappes dans sa vie d’avant, pouvoir les jauger d’un coup d’œil. Un tic inutile
à Saint-Yvers.
Il
appréciait ce moment de presque solitude. Il n’y avait qu’Ismaël, un vieux
pochetron pour venir parfois troubler sa quiétude.
Solitude
avinée pour l’un, solitude amère pour l’autre.
Il
n’avait eu depuis Steph que quelques filles d’une nuit. Des jeunes femmes
toujours surprises de trouver son appartement quasiment vide. Les murs blancs,
vierges de toute déco. Une sorte d’ascétisme qu’il cultivait en repeignant
régulièrement les parois de sa prison. Un peu comme si les couches superposées
de peinture pouvaient effacer le passé.
Yann
ne se souvenait jamais de leur prénoms, elles partaient juste le matin, elles
s’évanouissaient dans les brumes venues du large. Tout comme peu à peu les
traits de Steph s’effaçaient de sa mémoire. Oubliées aussi les fringales qu’il
avait d’elle aux premiers temps de son exil.
Tout
avait marché de travers aujourd’hui : des vagues histoires de querelles de
voisinage, de chiens qui aboient la nuit.... Une kyrielle de pneus crevés. Sans
doute des gosses du coin qui s’emmerdaient un peu.
L’ennui
total !
Depuis
qu’il était dans le coin, Yann ne l’avait jamais vue. Que pouvait bien foutre
cette fille dans ce bled un soir d’hiver ?
Plongée
dans son ordinateur, elle ne l’avait pas vu entrer. Ce n’est que lorsque son
téléphone s’est mis à sonner et qu’elle s’est penchée pour attraper son sac à
ses pieds que leurs regards se sont accrochés.
Alléchant !
RépondreSupprimerMerci ! Fort ! Vraiment.
SupprimerÉcrire n'est jamais vain :)
RépondreSupprimerC'est vrai oui. Ecrire dans sa tête ça compte ?
SupprimerEn tous cas merci pour cet encouragement à peut-être, pourquoi pas, un jour... Merci quoi.
Profiter des vacances ?... :-)
RépondreSupprimerTout ce temps à y penser. Et puis... rien, ou presque.
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